Nathalie986
G5/ Chapitre 15 : Une vieille connaissance
Comme à chaque fois, le deuil passé, nous reprîmes le cours de notre vie.
Suite à la mort de Lucie, nous avions décidé de fermer la boulangerie un moment. Tant pis pour le manque à gagner. De toute façon, le cœur n’y était pas.
Cassandre était de nouveau scotchée devant les émission de Cuisine TV.

Ou alors dans ses livres de cuisine. Jules s’était sérieusement replongé dans ses bouquins de pâtisserie, afin de trouver l’inspiration pour de nouvelles recettes pour la boulangerie.

Et il s’était découvert une passion pour un jeu vidéo. Quant à moi, je repris sérieusement l’écriture de ma biographie, que j’avais un peu abandonnée ces derniers temps.

Jules aidait souvent Cassandre à faire ses devoirs. Il avait installé une petite table à la place de son ancienne table à dessin, afin qu’elle soit avec nous lorsqu’elle étudiait.

Et moi... J’avoue qu’écrire cette biographie m’arrachait parfois des larmes, surtout lorsque j’y évoquais les membres de ma famille qui n’était plus de ce monde. La peine me submergeait alors.

Ce jour-là, alors que nos enfants respectifs étaient au lycée, nous avions invité Céline et Clément à déjeuner. Les hommes s’étaient octroyé un petit verre avant le repas, et Céline m’annonça qu’elle avait trouvé son remplaçant à la tête du BPEH.
- Pour être exact, ils seront deux.
- Deux à la direction de l’Agence ?


- Je vous le dirai bientôt, me répondit-elle. Pour le moment, je ne peux pas. C’est une question de sécurité. Je voulais juste que vous sachiez que la relève est assurée.

Ce soir-là, Cassandre nous fit part de son souhait d’intégrer l’université.









Une fois dans notre chambre...
- On s’est pas mal débrouillés avec cette petite, tu ne trouves pas ? dis-à mon mari.
- Pas mal ? Tu veux dire qu’on a été extraordinaires, oui ?

- Elle va réussir, j’en suis certaine. Elle est très motivée.
- Et nous aurons un chef cuisinier dans la famille, un grand chef, pourquoi pas ?

- En tous cas, elle vise haut. Contrairement à nous qui n’avions rien fichu au lycée. Tu as fini barista, et moi, rien du tout !
- Ne dis pas cela. Nous avons ouvert une boulangerie qui fonctionne très bien.

- Tu as raison. Finalement, on a plutôt bien réussi, nous aussi.
- C’est exactement ce que je disais !

- Allons-nous coucher maintenant. Je tombe de sommeil.
- Et tu tombes de sommeil comment ?

- Au point de t’endormir tout de suite ?
- Tout dépendra de toi mon amour...


Quelques jours plus tard, Jules et moi organisâmes une réunion à la boulangerie, en vue de sa réouverture. Cela faisait deux mois que nous y avions tragiquement perdu Lucie, et il était temps de rouvrir au public. Karl avait pris un coup de vieux et Louis avait repris du poil de la bête.

C’était la première fois que nous organisions une réunion du personnel sur la terrasse, mais nous les connaissions tous les trois depuis tellement d’années, qu’il nous avait paru naturel à présent de leur donner accès aux parties privées.





Le lendemain, tout se passa effectivement très bien. Jules et moi décidâmes de réunir « les Inséparables » le soir même, à l’Usine. Cela faisait une éternité que nous ne nous étions pas retrouvés.

Cela nous faisait tant plaisir de revoir Samuel et Rangi. Nous étions tous tellement pris par nos vies respectives, que nous ne nous étions même pas rendu compte que nos réunions s’étaient espacées au point de devenir inexistantes.
Nous rassembler aujourd’hui nous aidait à réaliser combien le temps passait vite. Pourtant, nos échanges se firent comme si on ne s’était jamais quittés.

Emma, la sœur de Samuel, s’était jointe à nous pour la soirée.

Le barman dont nous avions l’habitude n’était plus là. La jeune mixologue qui avait pris sa place me dit qu’il était parti à la retraite. Comme le temps passe.

Pour ne pas déroger à nos anciennes manies, nous allâmes investir une banquette.

Jules était tout content :
- Alors, vous venez danser les gars ?

J’aperçus ma belle-sœur Alexandra, dite Lexa, sur la piste de danse. Moi qui croyais qu’elle n’aimait pas danser...
- On discute. On viendra après, répondit Samuel à Jules.

Puis, nous terminâmes tous sur la piste...

...excepté Jules et Rangi qui papotaient dans leur coin. Il faut reconnaître qu’ils étaient très heureux de se retrouver et devaient avoir des choses à se dire.

Tant pis, qu’ils restent dans leur coin. Moi j’avais envie de faire la folle...

...et le reste de la bande aussi, apparemment.

Qu’est-ce que ça faisait comme bien de se retrouver comme au bon vieux temps !

Mais d’un coup, je me figeai.
J’aperçus Cassandre en grande conversation avec un jeune homme qui me regardait fixement. Que faisait-elle là ? Elle était présumée dormir dans son lit, à cette heure...

J’avais beau tendre l’oreille, je n’arrivais pas à entendre ce qu’ils se disaient. Un chose est sûre, j’étais furax.
- On se connait, n’est-ce pas ?
- Non... Je ne crois pas.

- Je suis sûr que si. A l’auberge du vieux quartier, il y a quelques années. J’étais une petite fille, et tu as piqué la place de mon copain Frédéric. Je t’ai fait une scène, à ce moment-là, qui m’a d’ailleurs valu une punition. Je suis sûre que c’était toi.
- Ça ne me dit rien... Ce n’est pas ta mère, là-bas, elle n’arrête pas de nous regarder. Et elle n’a pas l’air contente...

- Alors ? Tu ne te rappelles vraiment pas ?
- Non, désolé. On ne s’est jamais vus.

- J’aurais pourtant juré que si ! Ce gars-là et toi, vous avez complètement la même tête.
- J’y suis ! C’est sûrement mon père. Il paraît que je suis devenu son portrait craché !

- Mouais... Si tu le dis.
- Je ferais mieux de te laisser. Ta mère a l’air en pétard, et elle va croire que je te drague. Salut.

Jule et moi écourtâmes notre soirée, et ramenâmes rondement Cassandre, à la maison.
- Alors ? Tu as une explication ?
- C’est vrai ! Je voulais aller danser avec Isabelle, et je pensais que vous étiez au Pan Europa. Vous allez toujours là-bas d’habitude !

- Navrée d’avoir bouleversé tes plans ! La prochaine fois, je te demanderai ton avis peut-être !
- Et Isabelle ? Tu l’as vue, toi ? Parce que moi non, souligna Jules.
- Elle a filé dès qu’elle vous a vus. Elle ne voulait pas risquer une réprimande. J’allais partir aussi. Seulement, j’ai vu le gars...

- Et qui c’est ce gars ? Ton petit copain ? lui demandai-je.
- Certainement pas ! Je ne sais même pas qui il est. Est-ce que tu te rappelles cette soirée à l’auberge ? Il y avait aussi Frédéric. Papa, tu dois t’en rappeler, toi ! Tu n’étais pas content parce que j’avais dit à un type qu’il avait piqué la place de Frédéric.

- Je m’en souviens très bien. Ta mère et moi nous sentions tellement honteux... Tu avais été punie une semaine dans ta chambre après ça.
- Et bien ce type, c’est le même type que ce soir-là !

- Tu n’es quand même pas allé l’embêter avec cette vieille histoire ? m’inquiétai-je.
- Bien sûr que non. Mais je lui en ai reparlé gentiment, juste pour qu’il me situe. Et vous savez quoi ? Il m’a dit que ce n’était pas lui, ce soir-là !

- Je ne suis pas du tout étonnée de sa réponse.
- Moi non plus, continua Jules. T’est-il venu à l’esprit que ce pauvre homme était peut-être encore gêné par l’affront que tu lui avais fait subir, et qu’il n’avait pas envie d’en parler ?
- Le problème n’est pas là ! Je l’ai vu de très près, et je sais que c’est lui ! Il n’a pas vieilli ! C’est incroyable, ça, non ?

- Pour être incroyable, c’est incroyable... dis-je en me demandant ce qu’elle avait bu.
- Ne va pas chercher midi à quatorze heures, lui dit son père. Cet homme-là fait simplement partie des chanceux qui se conservent bien, c’est tout.
Mais Cassandre ne démordait pas de son histoire.
- Non... Je suis sûre que c’est autre chose...

- Tu te rends compte quand même que ce que tu nous dis n’est pas rationnel...
- Tu lui en as parlé, de cette ressemblance ? questionna Jules.
- Oui... Il m’a dit qu’il s’agissait probablement de son père. Soi-disant qu’il lui ressemble beaucoup.

- Et bien voilà, tu l’as ta réponse ! m’exclamai-je.
- Allez va te coucher. Il est tard, et tu as école demain. Je passe l’éponge, pour cette fois, mais ne t’avise plus de sortir la nuit sans notre autorisation, ajouta Jules.
- Oui, Papa... répondit-elle en soupirant.

Nous passâmes l’éponge car nous avions remarqué que Cassandre avait été secouée par cette rencontre. Peut-être en voulait-elle encore inconsciemment à cet homme qui avait pris la place de Frédéric, alors qu’elle était petite fille. Que se passait-il dans son cerveau adolescent ?

Ce que nous ignorions, c’est qu’elle l’avait convaincu l’homme de prendre un selfie avec elle...

...qu’elle avait accroché la photo dans sa chambre, et qu’elle l’intriguait beaucoup.
Cassandre ne nous reparlera jamais plus de cette rencontre.
